Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant

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Dossier

Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant夽 Parents’ mental representations of their child: Current situation, illustrations, and some thoughts on the catalysts of change in the therapeutic assessment of the child J.É. Dubé ∗ , R. Noël Département de psychologie, université du Québec, Montréal, Canada Rec¸u le 23 juin 2015 ; accepté le 18 septembre 2015

Résumé Le modèle de l’évaluation thérapeutique de l’enfant permet de travailler en collaboration avec l’enfant et ses parents sur les difficultés motivant la consultation, rompant ainsi avec une tradition classique de double cloisonnement (parent/évaluateur et évaluateur/thérapeute) en évaluation psychologique infantile. Dans une perspective psychodynamique contemporaine et à partir d’illustrations cliniques, il est ici présenté une réflexion sur les processus de changement spécifiques à ce modèle. Nous proposons que, pour réactiver l’empathie parentale, un travail centré sur les représentations mentales que les parents ont de l’enfant est primordial. Différents ordres de buts thérapeutiques à l’évaluation sont alors conceptualisés, différenciant ainsi plus clairement l’évaluation thérapeutique de l’évaluation standard en clinique infantile. © 2015 Société franc¸aise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Évaluation psychodynamique contemporaine ; Évaluation thérapeutique de l’enfant ; Représentation mentale de l’enfant chez les parents ; Processus de changement ; Buts thérapeutiques à court et moyen terme 夽 Une version préliminaire de cet article a été présentée sous forme de communication lors d’un symposium au 28th International Congress of Applied Psychology à Paris (France). ∗ Auteur correspondant. Département de psychologie, pavillon Adrien-Pinard, bureau SU-R530, CP 8888, succ. CentreVille, Montréal, H3C 3P8 QC, Canada. Adresse e-mail : dube.j [email protected] (J.É. Dubé).

http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2015.09.010 1269-1763/© 2015 Société franc¸aise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Dubé, J. É., & Noël, R. Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant. Pratiques psychologiques (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2015.09.010

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Abstract Therapeutic assessment of the child (TA-C) is a model of psychological assessment that allows for collaborative work with parents and child on their reasons for consultation, a collaboration that breaks away from a traditional double separation (parent/assessor, and assessor/therapist) in child assessment. This paper, grounded in a contemporary psychodynamic viewpoint, presents clinical illustrations to support a conceptualization of change processes in TA-C. It is argued that, in order to revitalize empathy in parents, work focusing on the parents’ mental representation of their child is central. We propose a hierarchy of assessment/therapeutic goals that allows for a better distinction between TA-C and standard assessment in work with children. © 2015 Société franc¸aise de psychologie. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Contemporary psychodynamic assessment; Therapeutic assessment of the child; Parents’ mental representation of their child; Change process; Short- and medium-term therapeutic goals

Historiquement, la collaboration avec le client, toutes approches confondues, a souvent été limitée dans l’évaluation psychologique. Le modèle prédominant en évaluation psychologique demeure un modèle de « collecte d’informations » (Finn & Tonsager, 1997) dans lequel les clients se trouvent plutôt réduits à un rôle de producteurs d’informations ou de performances à la demande d’un examinateur qui contrôle ce qui sera abordé ou non. Dans les approches psychodynamiques tout particulièrement, la collaboration y est souvent la plus limitée. L’évaluation formelle est souvent minimale et, lorsqu’on y a recours, elle prend généralement place dans un contexte plutôt « cloisonné » : on a régulièrement recours à un évaluateur distinct, par exemple, qui présentera un retour minimal au thérapeute prenant en charge le suivi – et souvent aucun retour au client lui-même. En ce qui concerne l’évaluation et la thérapie psychodynamique de l’enfant (à laquelle nous avons nous-mêmes été formés il y a plus de 25 ans), on observe de plus un autre « cloisonnement » traditionnel, soit la tendance à minimiser autant que possible les contacts de l’évaluateur et du thérapeute avec les parents de l’enfant au-delà de la cueillette d’informations sur ses difficultés et son histoire (pour quelques exceptions notables, voir par ex. : Furman, 1957 ; Zacker, 1978). Les parents y sont donc vus essentiellement comme informateurs et il se fait peu de retour sur les résultats de l’évaluation, si ce n’est pour poser un diagnostic et formuler d’autorité des recommandations de traitement. Les préoccupations des parents au sujet de leur enfant sont souvent perc¸ues comme une résistance au changement, si bien que l’on tend à minimiser les contacts des parents avec le thérapeute pour préserver la « pureté » du traitement individuel de l’enfant et que l’on tend à référer les parents plus « récalcitrants » vers une thérapie personnelle et indépendante. Cette fac¸on traditionnelle de faire et de penser tend toutefois progressivement à être contrebalancée par différentes voix dans le milieu (par ex. : Novick & Novick, 2005). Et il est d’observation courante pour nous que leur pratique réelle amène souvent les thérapeutes psychodynamiciens d’enfants à des aménagements au fil des expériences qui incluent différents degrés de travail collaboratif avec les parents. Dans ce contexte, il nous apparaît que le modèle de l’évaluation thérapeutique de l’enfant (É.T.-E. : Tharinger et al., 2012) représente une formalisation heureuse de ce qui peut être un travail systématique et collaboratif avec les parents et l’enfant qui puisse s’appliquer à une pratique psychodynamique rigoureuse. Ce modèle propose en effet une approche du travail en collaboration avec les parents de l’enfant pouvant soutenir un effet catalysant des changements positifs possibles Pour citer cet article : Dubé, J. É., & Noël, R. Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant. Pratiques psychologiques (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2015.09.010

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à court ou moyen terme chez l’enfant et chez les parents. De plus, ce travail tend à préparer de manière fructueuse à un engagement soutenu à la psychothérapie (si elle est recommandée) et pouvant ainsi éventuellement prévenir les interruptions prématurées de psychothérapie qui s’avèrent très communes en clinique de l’enfant (Novick & Novick, 2005). Finalement, il peut permettre selon nous aux parents à qui l’on recommandera une thérapie personnelle de mieux en comprendre les raisons et de se les approprier, pour ensuite focaliser leur demande de traitement en évitant le piège d’une démarche qui serait basée sur une « culpabilité sans nom ». 1. L’évaluation thérapeutique de l’enfant 1.1. Modèle et procédures L’évaluation thérapeutique de l’enfant (É.T.-E. : Tharinger et al., 2012) est un modèle d’évaluation collaborative impliquant parents et enfant selon un protocole précis comportant neuf étapes que nous allons décrire tout en précisant leurs objectifs, ce qui permettra de comprendre la perspective de psychothérapie brève qui se rajoute à l’objectif d’évaluation de l’enfant. L’É.T.-E. comprend de 8 à 10 séances s’échelonnant sur deux à trois mois, avec utilisation d’outils d’évaluation classiques, tels des épreuves projectives (par ex. : dessins, Rorschach, tests thématiques) et des épreuves cognitives (par ex. : échelles Weschler, épreuves cognitives complémentaires). Lors de l’entrevue initiale avec les parents (étape 1) puis avec l’enfant et ses parents (étape 2), le clinicien cherche à comprendre les préoccupations de chacun puis tous travaillent avec celui-ci afin de formuler des questions précises sur l’enfant, les parents et la famille. Les instruments d’évaluation psychologiques sont choisis afin de traiter spécifiquement de ces questions et d’autres modes de cueillette d’information peuvent être également utilisés, tels que le jeu et des séances supplémentaires avec l’enfant visant à pousser l’enquête sur ses réponses aux différents tests. L’objectif consiste alors à obtenir une compréhension fine et nuancée de l’expérience de l’enfant mais aussi sa collaboration à l’élaboration du sens de ses réponses, en regard de ses préoccupations. Les parents observent les séances d’évaluation de l’enfant (étape 3) soit dans la même pièce mais légèrement en retrait (l’évaluateur vérifie alors régulièrement avec eux leur expérience de la situation), soit dans une autre pièce avec un deuxième évaluateur qui les accompagne dans leur observation derrière un miroir sans tain ou via l’utilisation d’une vidéo filmant en direct. Il s’agit d’un dispositif qui permet au parent de travailler en parallèle à l’évaluation de son enfant et, à partir de ce qu’il observe de celle-ci et de ce qu’elle lui fait vivre, de découvrir certains aspects de l’enfant et d’amorcer certaines modifications au narratif créé à son sujet. La séance familiale (étape 4) permet ensuite d’observer les interactions parents–enfant (avec médiation par le jeu ou non) puis de valider et compléter les hypothèses élaborées à partir de l’évaluation. Le clinicien évalue dans quelle mesure la famille est prête à un bilan comprenant un retour sur le fonctionnement de la famille comme système. C’est alors le premier bilan avec les parents seuls (étape 6), au cours duquel une compréhension des difficultés est élaborée ; compréhension en partie co-construite dans les séances précédentes, ce qui constitue l’aspect collaboratif de la restitution. Un conte est alors spécifiquement écrit pour l’enfant. Il inclut les résultats d’évaluation ainsi que la réaction des parents à ceux-ci tout en restant en lien avec les questions initiales de chacun élaborées en début de processus. Un bilan est alors conduit avec l’enfant et les parents (étape 7) : le conte est présenté et l’enfant a la possibilité d’en modifier certains aspects en fonction de ses perceptions. Une lettre reprenant les questions initiales, les principaux résultats soutenant la compréhension co-construite et des suggestions est transmise aux parents (étape 8) tandis que l’enfant repart avec le conte – la lettre et le conte pouvant faire Pour citer cet article : Dubé, J. É., & Noël, R. Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant. Pratiques psychologiques (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2015.09.010

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fonction d’objets transitionnels (Finn & Chudzik, 2013). Lorsque cela est possible, une séance de suivi (étape 9) est proposée environ six à huit semaines après que l’évaluation ait été terminée afin de soutenir les progrès, de discuter des recommandations et de leur mise en pratique et de traiter des questions et défis qui ont émergé depuis la fin de l’évaluation. 1.2. Les buts de l’évaluation thérapeutique de l’enfant et leur rationnel Tharinger et al. (2012) stipulent que les buts primaires de l’É.T.-E. sont : • de permettre à l’enfant de faire une expérience positive du processus d’évaluation et d’une intervention familiale ; • d’apporter aux parents une compréhension juste, compatissante, cohérente et utile de leur enfant et de leur famille ; • d’aider au développement ou au retour chez les parents d’une empathie envers leur enfant. L’atteinte de ces buts se ferait de manière progressive au cours du processus d’évaluation ; cependant, Tharinger et al. (2008) soulignent que la séance d’intervention familiale est conc¸ue comme le point focal pour la mise en place et la vérification de l’atteinte de ces changements. Tharinger et al. (2012) soulignent également que, « à bien des égards, bien que l’enfant soit la cible principale de l’évaluation, les parents sont la cible principale des efforts thérapeutiques » (notre traduction, p. 111). Cela découle de ce que, dans le paradigme d’É.T.-E., l’enfant n’est pas vu comme l’unique source des difficultés mais que ce sont plutôt les patrons répétitifs d’interaction de la famille qui sont considérés comme une source ou une influence probable des difficultés présentées (Tharinger et al., 2008, p. 548). Ces auteurs soutiennent donc que le travail direct auprès des parents, par exemple derrière le miroir, est un travail visant à supporter chez ces derniers le développement d’un narratif nouveau à propos de leur enfant et de leur famille. En retour, cela conduirait à de nouvelles interactions, d’une part, et stimulerait, d’autre part, la motivation au changement (Tharinger et al., 2012). Il apparaît donc que, pour Finn et al., un marqueur important de la qualité du processus d’évaluation basé sur la collaboration et le travail avec les parents demeure le développement de l’empathie parentale. 1.3. Empathie parentale et changement chez l’enfant Au plan général, Finn (2009) a mis en lumière trois conceptions de l’empathie qui guident son travail. Dans un premier temps, il conc¸oit l’empathie du clinicien comme un mode de collecte d’informations riches et personnalisées quant aux difficultés présentées ; c’est en ce sens qu’il dit des épreuves projectives qu’elles sont des « loupes à empathie » (Finn & Tonsager, 1997). Cette première conception permet d’envisager comment le processus d’évaluation – tout spécialement via une observation accompagnée des parents – pourrait servir à faire émerger à différents moments de cette évaluation les « points d’urgence » des distorsions dans la perception des parents quant aux difficultés de leur enfant. Il conc¸oit aussi, dans un deuxième temps, l’empathie comme un processus intersubjectif à deux personnes (ou plus). Cette seconde conception renvoie, au plan théorique, à la notion de connaissances relationnelles implicites (Stern, 2004) et à celles de mentalisation et de fonctions réflexives du thérapeute et des parents (Slade, 2005). Elle souligne tout spécialement selon nous que, si les parents peuvent être momentanément « en panne » quant à la prise en compte des difficultés distinctes de leur enfant et quant à leurs attributions par rapport à ces Pour citer cet article : Dubé, J. É., & Noël, R. Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant. Pratiques psychologiques (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2015.09.010

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difficultés, celles-ci demeurent potentiellement compréhensibles pour eux. En ce sens, aider au développement ou à la restauration chez les parents de meilleures capacités à se représenter leur enfant comme une entité distincte ayant des difficultés qui lui sont propres pourrait s’avérer un catalyseur de changement à court terme en rapprochant parents et enfant et, à plus long terme, en soutenant l’espoir de modifications stables à venir. Finalement, Finn souligne dans un troisième temps que l’empathie représente un élément de guérison des interactions humaines. Dans le cas de problématiques infantiles, cela remet tout spécialement à l’avant-plan un constat fait par de nombreux auteurs de différentes perspectives (par ex. : Baker, 2012 ; Reizer & Mikulincer, 2007) quant à l’importance de l’empathie réelle des parents à l’égard de leur enfant comme facilitateur essentiel (mais non exclusif) du processus de changement. À ce jour, Finn et al. ont publié une dizaine d’études visant à illustrer le rôle de l’empathie (ou de construits associés) dans le changement observé dans le fonctionnement adaptatif et/ou symptomatique de l’enfant et de sa famille. Ces résultats sont présentés dans le Tableau 1. Au plan technique, Tharinger et al. (2012) ont aussi proposé 13 techniques de travail au miroir avec les parents, dont plusieurs visent à faciliter la prise de conscience de leurs manières de se représenter l’enfant et ses difficultés et de confronter avec tact celles-ci. Pour nous, tant les résultats d’études antérieures que les techniques proposées, même si elles n’ont pas été discutées spécifiquement sous cet angle par Finn et al., renvoient à différents aspects de ce qui constitue un travail centré sur les représentations mentales des parents à l’égard de leur enfant et de leur interaction. 1.4. Le travail centré sur les représentations mentales comme catalyseur des changements Le développement ou le rétablissement d’une empathie parentale, profonde, juste et réaliste, nous semble en effet passer par un processus d’activation, d’exploration et de réajustement des représentations mentales que chaque parent se fait de son enfant et de ses difficultés. En ce sens, nous postulons que les représentations mentales de l’enfant chez les parents agissent comme médiateur des changements à court terme souhaités au terme d’une évaluation collaborative, et que c’est sur la modification de ces représentations que les efforts thérapeutiques brefs méritent d’être axés. Un point majeur, si l’on contraste les deux formes d’évaluation – standard et collaborative/thérapeutique (voir Fig. 1) – touche donc aux buts poursuivis et potentiellement accessibles suivant chacune. Dans les deux cas, les buts traditionnels de clarifications diagnostiques et de formulation de recommandations (d’orientation, de traitement, etc.) sont poursuivis explicitement et peuvent être atteints. Toutefois, les buts d’intervention brève (auprès de l’enfant, des parents et du système familial) ne sont pas directement poursuivis en évaluation standard ; de tels effets, s’ils sont observés, doivent être considérés selon nous comme un effet arrivant – pour reprendre l’aphorisme consacré – « de surcroît ». C’est ce qui est illustré dans la partie supérieure de la Fig. 1. Cela définit ainsi par ailleurs des buts d’intervention brève, propres au modèle d’évaluation collaborative, et un mécanisme par lequel ces buts peuvent être atteints (voir partie inférieure de la Fig. 1). Il nous apparaît finalement que les résultats obtenus à ce jour avec l’É.T. en général pointent vers une autre série distincte de buts potentiels, qui ne sont pas explicitement poursuivis et qui semblent rarement atteints de surcroît en évaluation standard : les buts d’alliance stable (voir partie inférieure de la Fig. 1). Dans leur ouvrage sur le travail avec les parents en psychothérapie psychodynamique de l’enfant, Novick et Novick (2005) font remarquer qu’amorcer des changements internes chez les parents dès l’étape de l’évaluation demeure crucial à la réussite du travail à plus long terme. Pour citer cet article : Dubé, J. É., & Noël, R. Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant. Pratiques psychologiques (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2015.09.010

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Tableau 1 Changements chez les personnes apportant les soins suite à l’évaluation thérapeutique selon 10 études publiées. Qui a changé ?/Qu’est-ce qui a changé ? Smith, Wolf, Handler, et Nash (2009) Les deux parents Patience accrue et meilleure compréhension ; communication plus efficace Fonctionnement familial plus cohésif ; atténuation de la perception de l’« enfant problème » comme bouc-émissaire Smith, Nicholas, Handler, et Nash (2011) Le père Plus impliqué dans les devoirs de son fils Meilleure communication père–fils Smith, Finn, Swain, et Handler (2010) Les deux parents Commencent à développer une pensée psychologique plus élaborée et systématique ; reconnaissent qu’ils étaient parfois inconfortables avec les expressions d’émotions de leur fils Plus confiants en leur capacité à offrir du soutien à leur fils lorsqu’anxieux ou inquiet Smith, Handler, et Nash (2010) Les deux parents (3 cas indépendants) Ont appris de nouvelles choses concernant leur enfant et ses difficultés Haydel, Mercer, et Rosenblatt (2011) La mère Présente des signes d’une pensée plus psychologique quant à la dynamique familiale Hamilton et al. (2009) Les deux parents Père a appris comment sa fille répond aux demandes des autres et formule ses demandes Les deux parents se sentent plus patients, empathiques, compatissants et pleins d’espoir envers leur fille ; hausse des affects positifs et baisse des affects négatifs Fantini, Aschieri, et Bertrando (2013) Les deux parents Climat familial modifié en raison des perceptions différentes chez les parents quant à leur fille Père plus disponible à écouter et parler ; père ne voit plus les explosions affectives comme de simples crises ou caprices ; mère plus ferme

Indicateurs de changement Rapport verbal des parents à l’entretien de suivi post-évaluation Certains résultats au Parent Experience of Assessment Survey Observations cliniques

Rapport verbal du père et du fils à l’entretien de suivi post-évaluation

Observations cliniques ; rapport verbal des parents suite à la séance de résumé Rapport verbal des parents à l’entretien téléphonique de suivi post-évaluation (après six mois)

Résultats au Parent Experience of Assessment Survey

Observations cliniques durant la séance de résumé

Rapport verbal des parents à l’entretien de suivi post-évaluation (1 semaine)

Observations cliniques ; rapport verbal des parents durant la séance de résumé

Pour citer cet article : Dubé, J. É., & Noël, R. Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant. Pratiques psychologiques (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2015.09.010

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Tableau 1 (Suite) Qui a changé ?/Qu’est-ce qui a changé ? Tharinger et al. (2009) Mères (n = 14) Hausse des émotions positives et baisse des émotions négatives (pré-post) Améliorations du fonctionnement familial Purves (2012) La mère de la famille d’accueil et la travailleuse sociale Meilleure (quoique limitée dans le temps) compréhension de l’enfant chez la mère d’accueil Changements des perceptions de la travailleuse sociale à l’effet qu’il s’agissait d’une enfant terrible avec qui on ne peut travailler ; meilleure compréhension et empathie à l’égard de l’enfant Tharinger, Fisher, et Gerber (2012) La mère Hausse des sentiments positifs et baisse des sentiments négatifs Améliorations à la relation mère–fils et à la communication familiale globale

Indicateurs de changement Résultats au Parents’ Positive and Negative Emotions About their Child Score composite de l’amélioration de la communication, de la cohésion et de la baisse des conflits Observations cliniques durant la séance de résumé

Rapport verbal de la mère durant la séance de résumé

Ils soulignent que les progrès dans les transformations à cette étape se mesurent à la lumière de la capacité parentale à voir leur enfant comme « personne distincte », ce qui leur permettrait alors de ressentir une empathie réelle pour ses difficultés plutôt que de l’exaspération, une blessure narcissique ou de la frustration quant à leur contrôle sur l’enfant et ses symptômes ; et que s’amorce dès ce moment un travail de développement et de consolidation des alliances entre l’enfant et le thérapeute, entre les deux parents, ainsi qu’entre les parents et le thérapeute, qui soutiendra la mise en place de la psychothérapie et sa complétion. Cette perspective qui est la nôtre, intégrée au modèle de l’évaluation thérapeutique, est schématisée dans la partie inférieure de la Fig. 1 via les cibles de travail sur les représentations mentales (tirées de Novick & Novick, 2005, p. 24) et par le dégagement de buts d’alliance stable s’appliquant « uniquement » au modèle d’É.T.-E.

2. Le travail sur les représentations mentales des parents à différentes étapes d’une évaluation collaborative : illustrations Nous croyons donc qu’une attention importante portée aux représentations mentales des parents à propos de leur enfant dès les premiers contacts avec les parents (étape de la demande et des entretiens préliminaires), et soutenue par la suite dans le travail « à chaud » au miroir et dans les étapes suivantes, peut permettre de canaliser les efforts thérapeutiques vers des modifications à impact significatif eu égard aux différents ordres de buts identifiés. Nous tenterons ici d’en faire trois illustrations distinctes, issues de notre pratique ou de cas que nous avons supervisés. Pour citer cet article : Dubé, J. É., & Noël, R. Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant. Pratiques psychologiques (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2015.09.010

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Fig. 1. Schéma conceptuel du processus médiateur attendu des modifications aux représentations mentales des parents dans les facteurs de changement de l’enfant, contrasté aux effets directs plus limités en évaluation standard.

Pour citer cet article : Dubé, J. É., & Noël, R. Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant. Pratiques psychologiques (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2015.09.010

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2.1. Nécessité d’un travail préparatoire : vignette d’Èva Les premiers entretiens avec les parents peuvent amener à envisager un travail avec eux, préalable même à voir l’enfant en évaluation formelle, comme dans le cas suivant. Èva est une fillette de 3 ans quand ses parents viennent nous consulter : elle serait très agressive avec sa petite sœur née il y a quelques mois, cherchant à la frapper tout en la serrant très fort pour l’embrasser. À côté de ses comportements difficiles à tolérer par les parents qui la vivent comme agressive, tyrannique et incontrôlable, Èva présente un spasme du sanglot depuis l’âge de 10 mois et la fréquence de ce symptôme relativement spectaculaire (elle s’évanouit sous le coup de la frustration) est passé de deux à six fois par semaine à la naissance du nouveau bébé. Dès la première séance, nous sommes frappée par l’intensité et la tonalité négative des propos des parents à l’égard de la fillette et nous apprenons une histoire de perte périnatale quelques mois avant la conception de celle-ci : un bébé perdu à près de 30 semaines de grossesse. Bien qu’ayant chacun bénéficié d’un suivi individuel concernant leur vécu face à cette perte, nous percevons combien pour les parents la situation actuelle ravive des angoisses de perte d’un bébé, scénario dans lequel Èva semble jouer un bien mauvais rôle. Nous prenons la décision de les revoir seuls pour une deuxième rencontre en raison de la force des projections négatives, de leur besoin manifeste de reparler de leurs angoisses de perte d’un bébé et du fait qu’ils nous apprennent que venir consulter seuls leur permet déjà d’y voir plus clair dans l’accompagnement d’Èva au quotidien. Prennent alors place une dizaine de rencontres parentales au cours desquelles la possibilité de venir déposer leurs souffrances actuelles et passées et de les différencier semble avoir permis chez eux d’envisager le point de vue d’Èva dans cette situation de naissance non planifiée d’une petite sœur, venant briser une bulle à trois particulièrement tenace en raison de l’historique du bébé perdu. Les représentations mentales des parents témoignent alors de leur capacité à percevoir la souffrance de la fillette et à lui reconnaître des aspects positifs, tels que le fait qu’elle soit vive et curieuse. Durant cette étape de consultation parentale, les symptômes de spasme du sanglot et les crises au coucher et au lever diminuent significativement chez Èva, sans complètement disparaître cependant. Ceci nous décide à une deuxième étape de consultation visant à inclure la fillette sans perdre la collaboration des parents. Nous installons une modalité d’évaluation collaborative proposant deux séances individuelles de jeu pour la fillette ainsi que des séances de jeu parent(s)–enfant à deux et à trois d’inspiration Wait, Watch, and Wonder (voir Rossignol, Terradas, Puentes-Neuman, Caron, & Leroux, 2013) permettant de combiner le recueil d’informations via l’élaboration verbale et via nos observations cliniques du jeu de l’enfant et des interactions des dyades et de la triade. Ceci nous permet de souligner la présence de compétences parentales en termes de régulation et de sensibilité parentale (mais aussi leur caractère intermittent) et le bon développement de la fillette qui présente des ressources certaines. Une nouvelle série de représentations mentales de l’enfant se fait donc jour et permet de penser en termes de conflit plutôt que de déficit : les habiletés sont présentes chez les uns et les autres, mais des conflits empêchent par moment leur activation. Il est également mis en évidence une série de paradoxes et de contradictions chez les parents entre le dire et le faire (par ex. : ils sont verbalement très sévères mais se comportent de manière très permissive), ce qui permet de comprendre le maintien des symptômes de la fillette : cet aspect plus difficile de son fonctionnement ainsi que son tempérament plus réactif sont vécus comme des preuves de vitalité, donc subtilement renforcés car indispensables contrepoids de leurs angoisses de perte d’enfant. Èva termine en évoquant l’histoire qu’elle adore d’un loup caché sous le lit d’une petite fille et qui finit par faire sa valise. Lors de la séance de rencontre familiale, l’histoire se poursuit avec l’idée qu’Èva n’est pas seule à avoir un loup : chacun d’entre eux semble avoir un loup caché dont ils Pour citer cet article : Dubé, J. É., & Noël, R. Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant. Pratiques psychologiques (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2015.09.010

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veulent se débarrasser. Ces loups semblent se parler et se potentialiser : comment les différencier et que chacun récupère le sien afin que la fillette ne soit pas la seule à les porter ? Ce travail préalable avec les parents semble avoir permis le passage d’une externalisation massive sur l’enfant à une conflictualité interne chez chacun d’entre eux, par l’intermédiaire d’un espace transitionnel peuplé de loups. Par ailleurs, même si les attributions négatives étaient massives au début, plusieurs indices que ces parents avaient été auparavant en mesure de se représenter et d’interagir avec leur enfant avec empathie nous ont permis d’envisager une approche collaborative, après un premier travail de « dégagement » centré sur les représentations mentales activées.

2.2. Travail au miroir et séparation-individuation : vignette de la mère d’Élise Dans d’autres cas, le travail à chaud au miroir avec un co-thérapeute pourra permettre de faire émerger et d’amorcer des modifications des représentations mentales des parents témoignant de difficultés de différenciation parent–enfant, comme dans le cas suivant. Élise est une fillette de 7 ans pour laquelle sa mère vient consulter au sujet de crises de colère et de difficultés scolaires. La mère, célibataire dans la trentaine, a eu recours à l’insémination artificielle avec donneur pour la concevoir. Elle précise dans les premiers entretiens comment, bien qu’elle ait pris soin de choisir un donneur présentant les mêmes couleurs de cheveux et des yeux qu’elle-même, cette enfant ne lui ressemble pas du tout physiquement et ne correspond pas à l’enfant imaginaire qu’elle portait dans sa tête : elle rêvait d’un garc¸on, version masculine d’elle enfant, avec lequel elle aurait joué aux petites autos dans la boue. De fac¸on paradoxale, les différents symptômes de l’enfant ainsi que ce qui est mis en scène par la mère et l’enfant dans les transitions des entrevues et dans les entrevues elles-mêmes révèlent de part et d’autre des difficultés dans le processus de séparation-individuation. À l’évocation de la grossesse, la fillette par exemple commente : « quand on étaient enceintes. . . » Les interactions entre elles rappellent celles d’un couple tant la hiérarchie parent–enfant est peu marquée et la complicité est grande, mais peu de contacts physiques chaleureux de type parent–enfant s’observent. Une modalité formelle d’évaluation thérapeutique est installée et le travail de la mère avec un co-thérapeute derrière un miroir unidirectionnel pendant l’évaluation psychologique de la fille met à jour une indifférenciation conduisant la mère à envisager par exemple que ce qu’elle pense ne peut que refléter ce que pense l’enfant. C’est donc, pour madame, la découverte que son enfant possède une perception de la réalité bien à elle, une souffrance bien différente de la sienne, ainsi que des ressources certaines que la mère ne possède pas face à certains problèmes. La mère parvient graduellement à identifier ses propres difficultés et à les différencier de celles de sa fille. Bref, elle travaille à prendre conscience des différences entre les représentations qu’elle a de sa fille et la réalité de ce qu’elle est. En fin de processus, cette dyade mère–enfant apparaît comme entretenant un rapport plus représentatif d’une relation parent–enfant qui s’observe clairement dans la disparition de l’utilisation du « on » pour parler d’elles et dans les contacts physiques entre elles, la fillette se permettant plus d’aller s’asseoir sur les genoux de sa mère. La pratique de l’accompagnement du parent au miroir dans le cadre de ces enjeux de séparationindividuation encore vifs, a été particulièrement heureuse. En effet, la possibilité d’installer deux espaces à la fois différents et reliés (la mère pouvait observer sa fille tout en élaborant verbalement avec un co-thérapeute) semble avoir fourni un cadre qui a soutenu le dégagement d’espaces psychiques distincts. Cet exemple clinique illustre combien l’empathie réelle pour l’enfant et Pour citer cet article : Dubé, J. É., & Noël, R. Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant. Pratiques psychologiques (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2015.09.010

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pour ses difficultés propres (même si elles ressemblent parfois à celles du parent) passe par la représentation de l’enfant comme personne distincte. 2.3. Réintégration d’une perspective ajustée : vignette de Nathan Finalement, redonner place et vie à des représentations mentales antérieures, quand elles ont été écartées au profit de vues externalisées des difficultés, peut s’avérer possible à l’étape du bilan fait à l’enfant et ses parents. Le cas suivant en constitue une illustration. Nathan est un garc¸on de 7 ans au moment de la consultation : l’enfant aurait des peurs irrationnelles, comme par exemple craindre qu’une tornade ne s’abatte sur la maison ; il se ronge les ongles, s’arrache des morceaux de peau sur les doigts et devient particulièrement angoissé au coucher, ce qui l’empêche de facilement s’endormir. Il réclame alors beaucoup de câlins, ce que les parents lui offrent tout en constatant que cela ne le rend pas moins anxieux. Il peut dans ces moments-là devenir opposant, faire des crises et aller jusqu’à lancer des objets et frapper ses parents. Dans l’après-coup des crises, il se sentirait très coupable. Nathan a été retiré de sa famille biologique à la naissance et a été placé chez ses parents adoptifs actuels qui ont officialisé l’adoption dès que cela a été possible, soit peu de temps avant la présente évaluation. Ils ont également la garde d’une fillette de trois ans et la mère est actuellement enceinte. Lors du processus d’évaluation thérapeutique, les parents paraissent d’emblée concernés par Nathan et sensibles à son monde interne ; l’anxiété et la tristesse mentionnées par les parents sont d’emblée perceptibles chez l’enfant, derrière une première réaction de timidité. Les récits produits par le garc¸on lors de l’administration du CAT (Children Aperception Test) révèlent des préoccupations autour des enjeux d’adoption et d’autonomie. D’un côté, il semble vouloir devenir plus autonome car cela rendrait ses parents fiers et lui-même en retirerait de la fierté. Mais d’un autre côté, il semble craindre de perdre ses parents adoptifs s’il gagne en autonomie. Certaines histoires soulèvent également la question de la différence entre les enfants adoptés (qui devraient partir) et les enfants biologiques (qui auraient le droit de rester). Les parents et Nathan sont par la suite rencontrés pour le bilan des résultats de l’évaluation. L’évaluatrice aborde en premier lieu les craintes liées à l’adoption et aux enjeux d’autonomie. Les parents se montrent étonnés, mais réceptifs. Ils expliquent qu’ils ont déjà été conscients que Nathan pouvait avoir peur de les perdre lorsqu’il était plus jeune. Ils l’avaient alors rassuré de manière répétée. Toutefois, ils n’avaient pas réalisé que ces craintes étaient encore présentes ou que l’arrivée du bébé pouvait soulever de nouvelles craintes chez leur fils. Nathan se joint alors à la conversation et dit à l’évaluatrice : « J’ai pas envie que c¸a arrive ce que tu racontes ! » L’évaluatrice explique à Nathan : « Je sais que tu n’as pas envie que c¸a arrive. Et je pense que papa et maman n’ont pas envie non plus que c¸a arrive. Je suis en train de dire à tes parents que je pense que ce sont des questions que tu te poses ». Nathan répond sur un ton affirmatif : « Oui, ce sont des questions que je me pose ! » Les parents le rassurent immédiatement et Nathan est visiblement soulagé par leur réponse. L’évaluatrice enchaîne ensuite sur les difficultés d’endormissement et les transitions. Elle explique que ces situations peuvent être vécues par Nathan comme s’il se sentait « arraché » à ce qu’il faisait. Cette hypothèse fait beaucoup de sens pour les parents. Un conte avait été rédigé pour résumer les résultats de l’évaluation et il est lu à la famille à la fin de la rencontre bilan. Il s’agissait de l’histoire d’un petit hippopotame qui se retrouvait seul et qui était adopté par des parents hippopotames d’une autre espèce. Nathan est très concentré et calme durant la lecture, une conduite qui contraste avec son agitation habituelle. Lorsque l’évaluatrice fait la description du groupe d’hippopotames dans lequel le petit allait trouver ses nouveaux parents, Nathan s’exclame : « Ce sont les miens ceux-là ! Comme ma famille. » Dans le conte, il y avait un moment où le petit hippopotame parlait de ses Pour citer cet article : Dubé, J. É., & Noël, R. Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant. Pratiques psychologiques (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2015.09.010

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questions et de ses craintes par rapport à ses parents adoptifs. À ce moment, Nathan s’assoie sur les genoux de son père qui le serre dans ses bras. Plus tard dans le conte, les parents adoptifs rassuraient le petit et répondaient à ses questions. À ce moment de l’histoire, Nathan s’assoie de manière plus détendue sur son père. Les parents sont très attentifs au conte, ainsi qu’aux réactions de leur fils durant la narration. À la fin du conte, l’évaluatrice demande à Nathan comment il a trouvé l’histoire et celui-ci répond d’un ton sérieux : « C’est une très belle histoire ! » La famille part sereine de cette dernière rencontre et une copie du conte leur est ensuite transmise. Le travail au moment du bilan a ici permis de médiatiser les représentations mentales de l’enfant comme préoccupé par l’abandon. Mais cette fois-ci, l’enjeu de l’abandon se retrouve projeté dans le futur : Nathan ne le craint plus dans l’immédiat mais pour plus tard, quand il deviendra autonome. Le travail sur ces représentations mentales a permis de débloquer chez Nathan le mouvement vers l’autonomie et a resserré l’alliance entre parents et enfant pour faire face aux bouleversements de la naissance imminente d’un enfant biologique des parents. 3. Discussion Comme nous l’avons mentionné en introduction, nous pensons que le modèle d’évaluation thérapeutique de l’enfant (É.T.-E.) permet de systématiser le travail collaboratif avec les parents et leur enfant, une systématisation qui peut s’accorder avec une pratique psychodynamique rigoureuse et contemporaine de la clinique infantile. Il offre en effet une approche qui ne se centre pas que sur l’enfant en mettant les parents « de côté », d’une part. D’autre part, il ne se centre pas non plus que sur les parents et sur les conflits de la parentalité, sans prendre en compte les particularités de l’enfant et comment elles interagissent avec les caractéristiques des parents. Par la revue de résultats d’études antérieures menées par Finn et al. et par nos propres vignettes cliniques, nous avons tenté d’illustrer notre proposition conceptuelle à l’effet : • que les représentations mentales des parents à propos de leur enfant s’avèrent un point de focus très pertinent pour cibler le travail avec les parents ; • que les modifications apportées à celles-ci constituent un catalyseur de changements spécifiquement recherchés dans l’application du modèle d’É.T.-E. ; • que l’ampleur et la stabilité de ces changements peuvent servir d’indicateurs très pertinents pour évaluer la qualité du travail thérapeutique accompli. Dans cette perspective, il nous apparaissait important de tenter de départager différents ordres de buts (traditionnels, d’intervention brève et d’alliance stable) poursuivis auprès des parents, de l’enfant et de la dynamique interactionnelle parents–enfant afin de concilier ce modèle avec une pratique contemporaine de la clinique psychodynamique infantile, qui demeure notre modèle de référence. Nous souhaitions finalement insister sur le fait que, pour nous, ce travail de modifications aux représentations mentales de l’enfant chez les parents s’avère un travail itératif de réaménagement graduel à travers l’ensemble des différentes étapes de l’É.T.-E. : entretiens préliminaires, séances au miroir, séance familiale, séances de bilan et éventuellement séance post-évaluation. Toutefois, la poursuite et l’atteinte possible de ces buts via ce modèle ne devraient pas être entendues comme une position faisant pour nous de l’É.T.-E. une panacée universelle aux difficultés de l’enfant ou du système familial. En effet, si dans certains cas, il est possible d’envisager que les buts d’intervention brève, une fois atteints, pourraient s’avérer une intervention suffisante Pour citer cet article : Dubé, J. É., & Noël, R. Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant. Pratiques psychologiques (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2015.09.010

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en soi – une forme de consultation thérapeutique au sens strict –, dans d’autres cas toutefois, nous considérons que la poursuite et l’atteinte des buts d’alliance stable préparent plutôt de manière optimale (par contraste avec des pratiques d’évaluation traditionnelles) à une prise en charge thérapeutique recommandée, parce qu’il y aura eu un travail de dégagement de ce qui est propre à l’enfant, en particulier ce qui relèverait de la psychopathologie de celui-ci. Il demeure aussi par ailleurs que, si nous avons réfléchi aux applications de ce modèle dans le cas de parents « en panne d’empathie » de manière plus ou moins momentanée, il est probable que la possibilité de modifications des représentations mentales que se font les parents de leur enfant soit peu applicable dans certains cas particuliers. En effet, les résultats avec les parents dits « à haut risque » (projections négatives massives, déficit de mentalisation, pré-transfert négatif, etc.) sont à ce jour mitigés. Par exemple, Tharinger et al. (2012) font référence aux travaux de Holigrocki et al. qui auraient utilisé une technique similaire de travail avec des parents dits « à haut risque » s’appuyant sur des extraits vidéo d’entretiens avec l’enfant et qui auraient observé des modifications des attributions négatives que ceux-ci produisent. Cependant, Rossignol et al. (2013) sont arrivés au constat que des mères présentant des déficits importants de fonctionnement réflexif ne bénéficient pas de techniques semblables dans une approche de type Wait, Watch, and Wonder. Ainsi, il nous faut probablement nous rallier pour l’instant à la mise en garde de Oppenheim et al. (cités dans Rossignol et al., 2013) à l’effet que le travail sur les représentations mentales des parents pourrait ne s’avérer fructueux que pour rétablir un fonctionnement antérieurement observé chez les parents ou pour actualiser des ressources latentes chez ceux-ci. Finalement, si la conceptualisation présentée ici des liens spécifiques entre représentations mentales et buts thérapeutiques se base sur certains résultats d’études empiriques déjà réalisées par Finn et al. ainsi que par d’autres groupes de recherche, il faut noter qu’au même titre que nos propres vignettes cliniques, une bonne part des effets notés reposent sur des observations cliniques ou des témoignages verbaux de la part des parents. En ce sens, nous pensons que ces liens entre la modification des représentations mentales (comme effet médiateur présumé) et l’adaptation fonctionnelle de l’enfant et de sa famille via l’É.-T.-E. pourraient gagner à être démontrés de manière plus formelle. C’est pourquoi notre groupe de recherche s’attache à étudier, au moyen de méthodes qualitatives et quantitatives et par des études de trajectoires de changements dans des protocoles à cas unique, les liens entre des modifications portant sur différentes mesures liées aux représentations mentales des parents et l’atteinte de buts d’intervention brève et de buts d’alliance stable (tels que nous les avons conceptualisés distinctement plus haut). Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Remerciements Nous tenons à remercier Mmes Florence Aumètre et Ariane Boyer pour leur aide précieuse dans la préparation de deux des trois illustrations cliniques. Références Baker, K. E. (2012). My brakes are broken: Case presentation of a latency-age boy struggling with affect regulation. Psychoanalytic Social Work, 19, 22–42.

Pour citer cet article : Dubé, J. É., & Noël, R. Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant. Pratiques psychologiques (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2015.09.010

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Pour citer cet article : Dubé, J. É., & Noël, R. Les représentations mentales de l’enfant chez les parents : situation, illustrations et réflexions sur les catalyseurs de changements en évaluation thérapeutique de l’enfant. Pratiques psychologiques (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2015.09.010